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27 octobre 2007 6 27 /10 /octobre /2007 19:23
ANACIS 2006/2008 -Elisabeth Piegay-
 
 
 
L’INDIVIDU INCERTAIN- Alain Erhenberg-
 
                                             Hachette Littératures- Edition pluriel-351pages-
 
 
 
L’individu en France ou la responsabilité incertaine- Anatomie d’une question-
 
L’individualisation de l’existence se traduit par un effritement des barrières entre le privé et le public .La subjectivité est devenue une question collective dans une société de responsabilité de soi : chacun doit se trouver un projet de vie et agir par lui même pour ne pas être exclu du lien.
La peur de l’exclusion est partout car la pression sur l’individu est énorme. L’individu moderne est un individu soufrant dans un monde politique à la française en décomposition avec la crise de la représentation politique depuis la fin des trente glorieuses.
Le monde politique en favorisant la démocratisation des institutions citoyennes, économiques, sociales et familiales a perdu de son contenu et de sa signification politique .L’individu a moins d’attaches collectives dans une ambiance sentimentaliste faite de restos du cœur et d’actions humanitaires.
 
C’est la fin de la morale du devoir et le politique n’arrive pas à trouver un nouveau mode d’agir politique pour répondre au sentiment d’incertitude des individus qui basculent dans un vécu d’impuissance qui se traduit soit par un vote protestataire soit par l’auto dévalorisation dépressive.
 
La notion de souffrance psychique est au cœur du discours public.
Le langage psychologique a remplacé le langage social, les politiques de revendication, de lutte contre les inégalités.
 
L’individu incertain caractérise une société de dés inhibition : mise en scène de soi et techniques de soi en sont les caractéristiques visibles. Plus sollicité, l’individu trouve des solutions dans la prise de drogues et/ou de médicaments psychotropes. Plus avide de reconnaissance il témoigne de sa propre vie à la télévision en espérant trouver des repères pour agir. Les réality- shows en sont la démonstration et signent la dégradation de la politique dans le spectacle. Paradoxalement chacun est confronté aux limites dont il doit rendre compte.
 
Les drogues quant à elles symbolisent la limite du droit à disposer de soi au-delà de laquelle on ne fait plus société .Il reste une incertitude sur ce que chacun doit prendre en charge et un retour du contrôle public sur sa vie privée .
 
La France a la particularité, dans sa politique de lutte contre la drogue, de ne pas arriver à rompre avec le modèle de l’abstinence et donc de ne pas parvenir à reconsidérer la notion d’interdit en fonction de la diversité des pratiques de consommation et donc de modification de soi .Elle a longtemps banalisé certaines drogues légales comme l’alcool et tirer à boulet rouge sur des drogues comme l’opium, l’héroïne, considérées comme des dangers publics.
Or certaines drogues comme l’opium ont la particularité de donner le sentiment d’atteindre une normalité idéale dans le modèle de l’exigence de notre société de performance.
L’opium donne un cerveau aiguisé et non dégénérescent comme l’alcool.
Il permet paradoxalement une santé optimale entremêlée à une identité à la recherche d’une normalité indéterminée et ouvre le sujet à une souveraineté de sujet en pleine possession de ses moyens physique et psychologique mais en même temps prisonnier de sa subjectivité et de son corps.
 
L’alcool est considéré comme une pathologie quand son usage constitue un danger pour soi et pour autrui alors que les drogues sont représentées comme un danger d’emblée, sans hiérarchie entre produits, ni doses consommées.
Tout consommateur est d’emblé un toxicomane et la répression s’exerce dans la sphère public mais aussi privée (loi du 31 12 1970).Cette loi met en scène une société très conservatrice alors que les drogues permettent à la jeunesse occidentale de concilier une forme de participation à l’espace public via la contestation et une forme d’individualisation propre à l’espace privé via l’hédonisme ; tout ceci dans une société ou s’effrite la frontière entre vie publique et vie privée.
 
La loi de 1970 a d’autre part brouillé les espaces entre soin et loi du fait du codage incertain entre drogué malade ou drogué délinquant. La loi flotte entre légalité républicaine et psychanalyse .Les juges se font thérapeutes et les soignants comptent sur la loi pénale pour réintégrer les toxicomanes dans la loi symbolique tout en maintenant le refus de l’injonction thérapeutique.
La conséquence en est un droit sans principe qui ne joue aucun rôle de repère pour le citoyen et ne peut entraîner aucune adhésion.
 
L’abstinence républicaine continue à diaboliser le problème de drogue, à ne pas voir la réalité des risques et donc à ne pas agir dessus.
Pouvoir penser l’articulation entre la loi et le risque permettrait de sortir de l’impasse mais cette pensée rendrait criante l’absence de politique de santé publique en la matière.
 
Troubles de l’humeur
 
La recomposition du paysage pharmacologique et les transformations du souci clinique en santé mentale sont des indicateurs d’une inflexion qui semble promise à un bel avenir car permettant une amélioration du fort intérieur. Cette évolution brouille la distinction nature/artifice et normal/pathologique et accompagne le brouillage du public/privé.
Se développent de nouvelles chronicités avec l’arrivée de personnages sociaux non malades et non guéris. Faute de guérir et de définir une norme en matière de troubles psychiques, on assure une qualité de vie aux individus en diminuant les souffrances psychiques ou en augmentant le tonus.
Seul le drogué n’y a pas droit…
Le handicap sort de l’anormalité pour désigner un mode d’existence de l’individu contemporain.
 
On entre dans l’age du palliatif : substitution (méthadone), antidépresseurs, médicaments de la mémoire (drogue de la cognition).
Nous entrons dans le monde de toutes les drogues même les plus dangereuses avec une recherche pharmacologique orientée vers la recherche du risque minimum. Cela implique que la politique accepte de voir la drogue comme une conduite laissée à la liberté privée afin d’en favoriser les usages contrôlés et donc d’en réduire les risques.
 
D’une norme unique il faut passer au pragmatisme permettant de repenser la signification de la loi en fonction des risques. L’analyse des drogues illicites doit donc être incluse dans la tendance à la généralisation de la transformation artificielle du moi avec un brouillage de la frontière entre produit licite et produits illicite.
 
Allons nous vers une toxicomanie aux médicaments ? La réalité est nuancée .Il existe « certains malades » dans « certaines circonstances »avec « certains produits » et une différence entre les consommateurs chroniques, stables et équilibrés dans leur consommation et les consommateurs « toxicomanes »qui ont souvent de graves problématiques sociales .Ce sont moins les conditions de chômage que celles de précarité qui expliquent la consommation de psychotropes.
Dans les situations d’exclusion l’usage des drogues et leurs effets négatifs sont liés aux cumuls des handicaps : déstructuration des liens familiaux et sociaux, absence d’éducation scolaire sérieuse et de perspectives d’emploi, développement d’une culture criminelle.
 
Depuis les années 80, la consommation de drogue n’a pas augmenté mais les produits se sont diversifiés et leur usage a été modifié : utilisation douce de drogue dur et dur de drogue douce.
 
La notion d’addiction connaît un grand succès dans le champ de la santé mentale et satisfait comportementalistes et psychanalystes. Les risques de la relation addictive sont identiques à ceux des drogues mais délestés du stéréotype de l’absence au monde. Pourtant l’anorexique peut mourir de son comportement et transgresse l’un des rares interdits que la société moderne n’a pas réussie à banaliser : celui d’atteindre à sa vie …
 
On assiste à une médicalisation de l’existence qui pose la question du débat sur le statut de la souffrance psychique. La norme, convention du groupe social est d’être beau, jeune et dynamique. La frontière entre normalité et trouble de la personnalité est une question de convention aussi.
Les médicaments rendent addict à la normalité sociale.
Le Prozac est le mythe au sens faible et fort du terme : ses effets sont une illusion et il résout imaginairement les tensions structurelles d’aujourd’hui.
‘On passe de la santé « projet de vie » à la santé infinie.
Le mythe de la drogue parfaite est ancien. Que l’on soit pour où contre, cette critique se fait sans politique c'est-à-dire sans avoir les outils intellectuels qui permettraient de passer à l’action.
 
Penser la distance à soi
 
Si le risque de la conduite addictive est l’asservissement, la question politique est celle de la liberté et en particulier la liberté intérieure qu’est le rapport à soi.
Hannah Arendt écrit  « la raison d’être de la politique est la liberté et son champ d’expérience est l’action » ;
La politique doit allier une vision de l’avenir et une gestion du présent.
Pour ce faire, il faut substituer au triangle d’or « abstinence / désintoxication / éradication » une articulation qui consiste à évaluer les risques et à distinguer les lois.
 
Là où le psychotique est un irresponsable, rapatrié dans la relation grâce aux neuroleptiques et aux autres mesures d’accompagnement, le drogué est le condensateur de la responsabilité incertaine. Il est le lieu d’une interrogation sur les limites de la vie privée (tension entre le minimum de contact avec soi et le minimum de distance à soi) sans lequel on ne peut faire société.
 
La télévision, terminal relationnel
 
La télévision est devenue un support universel. On est entré dans la culture de l’écran avec pour thème l’abondance, non pas celle de la possession d’objets signes mais celle de la capacité à se connecter, à entrer en relation avec soi et avec l’autre.
Elle devient la médiation technique d’individus incertains confrontés aux troubles de la relation.
La télévision est devenue le spectacle de réalité avec la flambée des réalitys shows. Le spectateur, devenu un zappeur hors pair recherche de plus en plus une modification des sensations corporelles, des perceptions comme peut le faire la drogue. De plus, il est de plus en plus convié à passer de l’autre coté de l’écran c'est-à-dire à se mettre en représentation et mélange fiction, variétés et informations documentaires.
Le spectacle de réalité a pour fonction d’augmenter l’estime de soi et le sentiment d’existence nécessaire pour occuper une place que l’on n’a plus en héritage.
Il marque la prégnance des difficultés à décider par soi même et le besoin de reconnaissance de la part d’autrui, du collectif.
 
Les médicaments et la télévision apportent une assistance qui au départ était née pour prendre en charge les vagabonds, les fous etc.
Cette assistance s’est ensuite étendue aux situations d’urgence et se développe pour soutenir une individualité mise à mal par le prix du ticket d’entrée dans la normalité à tel point que le handicap est devenu la situation normale de chaque individu et qu’il augmente au fur et à mesure que l’on descend dans l’échelle sociale.
 
La caméra du spectacle de réalité est hyperréaliste et met à nu l’individu pour montrer son authenticité. Elle a valeur d’exemple, d’héroïsation du quelconque : La nuit des héros, La piste de Xapatan, La marche de la gloire, Bas les masques...
Elle répond aux carences de l’appareil politico-administratif en prétendant pallier aux disfonctionnements institutionnels. Ses émissions servent de médiations entre le service publique et l’individu et de conseil personnalisé (apparition des magazines pour l’emploi…)
La télévision est devenue une entreprise de services relationnels laissant penser à de la démocratie directe alors qu’elle met justement le doigt sur  l’insuffisance de la représentation et l’inflation des demandes d’expression.
 
Interactivité, abondance relationnelle sont les recettes du bonheur proposées par les médias avec une dynamique égalitaire, essayant de recréer les cadres de l’interaction dans nos relations ordinaires faites de couple en échec, de familles brisées, d’exclusion sociale ou de désinsertion relationnelle.
Les frontières entre acteurs et spectateurs s’effondrent aussi.
 
La nouvelle mythologie ne peut plus se soutenir de la perspective critique de Barthes : le public n’est pas innocent de ce qui concerne le mensonge social. Les choses sont plus transparentes, l’individu a goûté à l’humour et prend de la distance.
On se retrouve en face d’une opacité transparente à éclairer.
La question de fond revient à la question de la normalité : suis-je normal ? Comment devenir un individu ?
Le rapport homme/femme a changé ; l’homme doit s’inventer de nouvelles normes pour maintenir et marquer sa virilité.
 
La mise à distance permet de représenter en donnant toute son épaisseur à la temporalité .A l’opposé , le spectacle de réalité est une mise en présence ayant pour mission la communication et la résolution rapide de problèmes ou la réassurance permettant le passage à l’action . La communication est un raccourci de la représentation. On aboutit à une solidarité d’individu à individu sans que l’ensemble des acteurs qui participe à sa situation nous soit montré.
L’émission « Bas les masques » est l’exemple type de la mise en scène de cette relation individu/société. C’est un magazine de société au sens de société d’individu, individu à la recherche de sa place et de sa relation à autrui.
 
 
L’informatique contemporaine est un instrument de communication, un amplificateur mental et cognitif. Les nouvelles technologies alimentent positivement ce dont la drogue était investi négativement : le sensation pure et le contact direct.
 
 
 
Le spectacle de réalité comme la drogue condensent les incertitudes de la responsabilité mais via des demandes de sens tendus entre communications et représentations, vitesse des réponses et lenteur de l’élaboration d’une vision.
 
Cette tendance va se poursuivre et la morale n’y pourra rien parce que la proximité et la vitesse donne l’impression d’une présence dans une société peu lisible.
L’expérience contemporaine de l’individu d’aujourd’hui est une interrogation massive sur l’incertitude des places qui ne trouve pas d’apaisement face aux questions qui s’expriment dans la plus grande confusion sur nos écran set ailleurs : la justice, la loi, la thérapie, la relation à soi et à l’autre.
 
 
La société d’individu est une société ou nous devons puiser dans le puits sans fond de notre propre individualité pour nous engager dans la relation avec aucune place assignée et l’incertitude d’en avoir une un jour.
 
 
La distance qui fait lien : politique et individualisme
 
 
Nous sommes dans un age d’apparence intérieure aux frontières imprécises et distances incertaines.
 
L’évolution des rapports aux psychotropes et à la télévision est caractéristique du développement massif de technologies identitaires et d’industries d’estime de soi. Elles se bâtissent sur l’intégration de la subjectivité dans la technique (pharmacologique et électronique).
Un individu aujourd’hui, c’est de l’autonomie assistée.
 
Serions-nous tous des handicapés ; handicapés assistés par ces deux canaux pour rester dans une normalité devenue très chère mais dont les modèles sont néanmoins pluriels ce qui peut permettre à chacun de trouver une place qui puisse lui convenir ?
Psychotropes et télévision sont-ils les samus ou les pompiers pyromanes de l’individu incertain ?
On aboutit à une généralisation du handicap relationnel où s’intriquent en permanence le social et le psychisme. Cette situation se développe dans une société de dés inhibition et de modification du contrat social.
 
Entre l’économique, la communication et l’humanitaire, la politique est perdue de vue alors que sa présence reste une nécessité absolue dans une société d’individu.
 
 
L’individu est une construction instable et contradictoire de soi dans la relation à autrui.
Durkheim dit que « l’individu devient l’objet d’une sorte de religion » et constitue « une foi commune » mais il ne craint pas la dissolution du lien social car « cet accroissement de la vie psychique de l’individu n’affaiblit pas la société, elle ne fait que la transformer ».
 
La société est une table qui simultanément lie et sépare les convives .La politique est là pour garantir la solidité de la table, elle est la condition d’une distance qui fait lien. Elle doit régler les rapports entre les hommes de telle sorte que les articulations entre souci pour soi et pour autrui soient facilitées.
Il lui appartient d’augmenter l’énergie des hommes et de fournir un cadre de réponse sur ce que c’est que de vivre en commun.
 
 
 
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